
Le peintre anglais Walter Sickert est peu présent dans les collections françaises. Le Petit Palais à Paris propose la première grande rétrospective en France d’un artiste qui a passé beaucoup de temps de ce côté-ci de la Manche. Ses visites fréquentes chez les artistes français lui ont permis d’ouvrir la voie à la modernité figurative dans son pays où il a toujours fait scandale.
L’exposition du Petit Palais, organisée avec la Tate Britain où elle est montrée entre avril et septembre 2022, s’ouvre sur des autoportraits, qui reflètent le côté insaisissable et changeant de Walter Sickert (1860-1942) : entre jeune amoureux dans un dessin à partir de 1882 (il a alors 22 ans) et le vieil homme penché sur sa soupe en 1927, il encaisse tous les regards.
Walter Sickert a un parcours hétéroclite, né à Munich d’un père artiste danois et d’une mère anglo-irlandaise qui a grandi en France, à Dieppe. Il a grandi en Angleterre. Ce voyage et la courte carrière d’acteur lui ont laissé un goût pour le changement, le déguisement ou les variations dans les techniques de l’image, ainsi qu’un indéniable intérêt pour le monde du spectacle.
Sa formation académique fut de courte durée ; c’est son travail avec James Whistler (1834-1903) qui est important. Avec le grand peintre américain vivant en Angleterre, il apprend la gravure, réalise les mêmes scènes de rue croquées sur le vif et étudie des compositions qui témoignent de sa virtuosité. Les deux artistes ont peint ensemble le même type de façades de magasins à Dieppe, descendant dans des tons similaires, mais Sickert a commencé à introduire des couleurs plus vives.
Il rencontre Edgar Degas qui devient son ami et en ressent l’influence. La nuit, il court du cabaret au théâtre et se met à peindre des scènes brillantes dans le music-hall, choquant la bonne société anglaise, où les cabarets sont des lieux de violence. A la fin des années 1880, il se consacre à ce sujet jugé scandaleux.
Pour lui, le spectacle est souvent dans la chambre, il filme l’animation dans les gradins, l’attraction du public. Il crée des compositions complexes, jouant avec de grands miroirs qui donnent une vision décalée de la scène. Il utilise des cadrages inattendus, visant les courbes des balcons en contre-plongée, cachant presque entièrement un conducteur derrière une balustrade. Il joue avec les couleurs et les lumières, celles des projecteurs de scène ou celles d’un ciel de fin de journée lors d’un spectacle Pierrots en plein air à Brighton.
Dans les années 1890-1900, Walter Sickert effectue plusieurs séjours à Venise, à Paris, et surtout à Dieppe où il réside entre 1898 et 1905. Il peint alors des paysages, essentiellement urbains, si où sont inscrites les petites figures de passants. A Dieppe, il oppose la lumière de l’église Saint-Jacques, comme Monet, qui Cathédrales de Rouen. L’Hôtel Royal Dieppe prend de fausses couleurs. A Venise, il multiplie les vues de la Basilique Saint-Marc, osant zoomer en oblique sur des détails architecturaux.
L’artiste n’a pas beaucoup peint Paris, mais à Londres le personnage solitaire se perd dans une rue la nuit et l’éclairage de la scène (Rue de l’Érable1916), ou à Dieppe les lumières d’un café vues de la rue (nuit d’amour, 1920) rappelle incroyablement les ambiances de l’américain Edward Hopper.
Autre objet de scandale en Angleterre, les nus, auxquels Sickert se consacra dans les premières années du nouveau siècle : à la suite de Pierre Bonnard ou de Degas dans l’invention du nu moderne, il supprima l’idéal des corps couchés dans des chambres modestes, en moyenne . postures, il les déforme par le cadrage. Il a à son tour ouvert la voie à la peinture figurative britannique contemporaine, de Francis Bacon à Lucian Freud.
Et puis, les dernières années de sa vie, à partir de 1914, nouvelle provocation, l’artiste change radicalement sa façon de travailler. Il commence à peindre en grand format à partir de photographies où il transfère des lignes agrandies sur la toile, ou bien en projetant l’image directement sur la toile avec une lanterne. Ces œuvres sont tirées de la presse, du cinéma, du monde du spectacle. Sur les photos en noir et blanc, il ajoute des couleurs parfois surprenantes, comme son rose et son vert Différent de Peggy (1934-1935), portrait de l’actrice Peggy Ashcroft. Jusqu’au bout, il fera preuve d’une incroyable modernité. Il sera suivi cette fois par Andy Warhol ou Gerhard Richter.
Walter Sickert, peinture et intrusion
Petit palais
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermé le lundi), vendredi et samedi jusqu’à 19h
15 € / 13 €
Du 14 octobre 2022 au 29 janvier 2023