
En Ukraine, il y a la ligne de front. Et il y a la “ligne Wagner”. Le 19 octobre, le patron du groupe paramilitaire Wagner, Yevgeny Prigojine, a annoncé la construction de cette ligne défensive chargée de “dents de dragon” antichar dans la région de Lougansk. Il devrait atteindre à terme 200 kilomètres de long. Ce mardi, le ministère britannique de la Défense a annoncé que ces petites pyramides de béton ont été construites dans d’autres territoires de l’Ukraine. Ces fortifications “dragons” ont été repérées par des images satellites loin du Donbass, à Marioupol. D’autres lignes sont également prévues à Zaporozhye et Kherson, a précisé Londres.
Constituées de deux rangées de pyramides en béton et complétées par une tranchée, ces lignes de défense ont été construites alors que les forces ukrainiennes menaient une contre-offensive pendant plusieurs mois. “C’est un changement qu’on a vu depuis le début de la contre-offensive ukrainienne, les forces russes ne sont plus à l’offensive mais sur la défensive, notamment à Kherson qui a été conquise pratiquement sans combat” au début de la guerre . , note Carole Grimaud, la fondatrice groupe de réflexion CREER et experts de l’Observatoire Géostratégique de Genève.
“Arrêtez le mouvement des véhicules blindés”
“C’est le signe de préparatifs défensifs fermes pour l’arrivée de l’hiver, c’est normal qu’une armée qui s’apprête à repousser une attaque renforce ses positions”, souligne le général Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences Po. et HEC. Car Kyiv est aux portes de Kherson. La ville du sud de l’Ukraine, aux mains de l’armée russe depuis le début de son offensive en février dernier, s’est transformée en “forteresse” à l’approche des troupes ukrainiennes.
La guerre entraîne souvent dans son sillage la construction de défenses destinées à ralentir l’ennemi ou à lui tendre une embuscade. “Ce sont des structures qui vous permettent d’arrêter le mouvement des véhicules blindés afin de les tirer [les éliminer] », explique le général Vincent Desportes. En établissant des obstacles, les forces russes peuvent empêcher les chars ukrainiens d’avancer et donc forcer une bataille d’infanterie ou les mener vers un goulot d’étranglement minable, par exemple. Or, « il faut défendre les obstacles et rassembler un grand nombre d’armes” car si la ligne de défense n’est pas protégée “elle est inefficace et peut être démantelée par l’ennemi”, explique Vincent Desportes.
“L’armée russe se prépare au plus urgent”
La construction de la “ligne Wagner” n’est cependant pas encore impressionnante, surtout par rapport à des ouvrages historiques comme le mur de l’Atlantique, dont les vestiges peuvent encore être admirés sur la côte normande. “C’est une question de temps, le mur de l’Atlantique s’est construit en trois ans”, a rappelé le général Vincent Desportes qui a ajouté que “l’armée russe se prépare au plus urgent”. Mais ces constructions défensives nécessitent aussi du personnel et du matériel. Des ressources qui manquent cruellement à Moscou.
Le 21 septembre, Vladimir Poutine a annoncé la mobilisation de 300 000 réservistes pour renforcer ses rangs sur le terrain. Mais alors que certains de ces soldats ne sont même pas équipés de gilets pare-balles – certains ont même reçu des gilets de paintball – la construction de cette ligne défensive pourrait coûter trop cher au Kremlin. Mi-octobre, les “dents de dragon” se succédaient sur seulement deux petits kilomètres, loin de l’ambition de s’étirer sur plus de 200 kilomètres de long. “A ce rythme, il ne sera pas terminé avant la fin de l’hiver voire du printemps, surtout avec les conditions météo”, assure Carole Grimaud, qui ajoute que, pour le moment, la ligne Wagner “n’est pas exceptionnelle”.
Une défense “en profondeur”
La construction d’une ligne défensive à Marioupol reste surprenante. La ville portuaire, qui a fait l’objet d’une âpre bataille jusqu’en mai, est située à une centaine de kilomètres au sud du front. “Ce n’est pas aberrant, coupe pourtant le général Vincent Desportes. Une position défensive s’organise en profondeur, on a une première ligne de défense, une deuxième ligne de défense, une troisième ligne de défense. Le système défensif allemand pendant la Seconde Guerre mondiale avait plusieurs lignes organisées de manière à épuiser progressivement l’ennemi.
Le chef du groupe Wagner a également assuré que cette ligne de défense ne serait pas “nécessaire” face à l’armée ukrainienne, “seule la présence de l’unité Wagner en première ligne est déjà un mur indestructible”, selon lui. “Cette ligne fortifiée n’est pas tant, peut-être est-elle plus symbolique que réellement efficace sur le terrain”, analyse cependant Carole Grimaud. Pas mal, car selon le Poste de Washington, L’administration Biden fait pression sur l’Ukraine pour qu’elle ne renonce pas aux pourparlers de paix avec la Russie. Pour l’instant, Kyiv refuse tout dialogue « tant que Vladimir Poutine sera président ».
La description des négociations sous-marines
« La communication publique et la communication non publique sont différentes. Officiellement, c’est toujours le même refrain, mais peut-être que derrière il se passe quelque chose », estime Carole Grimaud, qui rappelle que les accords d’Oslo se sont faits « en secret ». Plus que des lignes de défense, Moscou pourrait donc marquer son territoire et ses « dents de dragon ». » : Kherson, Mariupol et les territoires du Donbass dont la « ligne Wagner » suit étrangement les lignes de 2014. Ainsi, Severodonetsk, qui est resté aux mains des Ukrainiens après la guerre du Donbass, ils n’entreront pas derrière ces blocs pyramidaux.
Washington pourrait, par des sous-marins, tenter d’établir des frontières temporaires et geler le conflit. “C’est le moment, côté russe, d’étudier l’option d’une sortie sans que cela ressemble à une reddition car la propagande savamment distillée dans les médias russes a convaincu la population que les Russes ne peuvent que gagner”, a décrit Carole Grimaud.
Reste à savoir si les Ukrainiens et les Russes seront d’accord. Kherson a un fort caractère symbolique pour Kyiv et approvisionne la Crimée en eau. Marioupol est un port stratégique pour la région. Zaporozhye abrite la plus grande centrale nucléaire du pays. Alors en attendant de tracer des lignes diplomatiques, Moscou continue d’ériger sa frontière en pointillés avec des dents de dragon.